Bien qu’il soit normal d’anticiper la douleur, d’avoir certaines peurs, craintes en regard de la mise au monde, il arrive que certaines femmes soient beaucoup plus touchées que d’autres devant l’intensité de leurs peurs à l’idée de porter et de mettre au monde un bébé.
La tocophobie est la peur bleue que ressentent certaines femmes devant la seule pensée ou idée de porter un bébé dans leur utérus et/ou de le mettre au monde. Cet état d’être se distingue de par son intensité et des conséquences que cela peut engendrer sur la femme elle‑même et éventuellement chez le bébé. Autrefois, on parlait d’anxiété des femmes enceintes qui augmentait au fur et à mesure de la grossesse.
Même si cette réalité est peu connue, selon des études scandinaves, elle peut toucher de 2 à 5 % des femmes surtout après 20 semaines de grossesse et juste avant l’accouchement. Vivre avec ces inquiétudes excessives et persistantes, ce n’est pas une mince affaire puisque cette peur est à l’origine de bien des tourments dans la vie de tous les jours. Celles qui en souffrent peuvent difficilement gérer et contrôler leurs réactions qui deviennent souvent envahissantes et responsables de leur retrait, de leur isolement. Voir une femme enceinte, entendre parler d’un bébé à venir, c’est peut‑être déjà trop pour elles.
Sans faire un portrait précis avec les chiffres disponibles pour l’instant, certains chercheurs dans le domaine de la tocophobie avancent qu’environ 20 à 25 % des femmes enceintes d’un premier enfant ont eu une peur de l’accouchement de légère à modérée, alors que 6 % décrivent leur peur ressentie comme étant sévère, extrême. Toujours selon eux, le nombre de femmes vivant avec la tocophobie semble être à la hausse.
En général, la maternité est très valorisée dans la société. La femme enceinte attire les regards, attire l’attention et la bienveillance pour ce corps qui en porte un autre. Toutefois, même si la grossesse et l’accouchement représentent pour plusieurs femmes l’expérience la plus épanouissante et enrichissante de leur vie, pour d’autres, cela est un vrai cauchemar. La seule pensée de sentir un être vivant tressaillir dans son ventre et d’imaginer que le bébé devra un jour sortir de là en cheminant tout le long du canal vaginal est suffisante pour créer une panique indescriptible, une peur effroyable.
L’histoire de la tocophobie
Même si le terme tocophobie ne vous dit rien, les manifestations de cet état d’être ne sont pas nouvelles. Dès les années 1800, il a été documenté en Allemagne que plusieurs femmes de cette époque souffraient de ces peurs extrêmes, bien évidemment en lien avec le vécu de cette période où la mortalité maternelle et infantile était très élevée. De nos jours, avec les soins pour les femmes enceintes et les bébés, on considère ces peurs comme plus irrationnelles.
C’est seulement autour des années 1980 que les Scandinaves ont voulu en connaître plus sur ce phénomène et qu’ils ont mené des recherches plus approfondies sur ce qu’ils ont appelé la tocophobie (tokophobia). C’est seulement depuis 1997 que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reconnaît la tocophobie comme une maladie. Ce diagnostic médical se situe dans la catégorie des troubles anxieux ou phobiques liés à la maternité. C’est bien une phobie mais elle est très spécifique.
Les types de tocophobie
Il existe deux types de tocophobie : primaire et secondaire.
La tocophobie primaire
La tocophobie primaire fait référence à la peur profonde de la maternité et de l’accouchement, sans jamais avoir vécu l’expérience. Ces femmes qui n’ont jamais été enceinte (nullipare) craignent la situation juste à l’imaginer. Souvent, lorsqu’on questionne leur ressenti, on constate que cette peur date souvent de plusieurs années auparavant, souvent même depuis leur adolescence. Avoir subi des abus sexuels ou avoir vu des films d’accouchement traumatisants, avoir entendu des personnes parler négativement de leur grossesse ou de leur accouchement peuvent être à l’origine de cette peur incontrôlable. Sans même avoir vécu l’expérience, ces femmes douteront et auront moins confiance en leur capacité de porter et de mettre au monde un bébé.
Plusieurs mythes existent encore aujourd’hui autour de la grossesse et de l’accouchement. Pour une femme (un couple) profane dans ce domaine, il est difficile de savoir ce qui est fondé et ce qui ne l’est pas. Les différentes sources d’information en ligne ne sont pas toujours fiables et crédibles et peuvent ajouter à la peur! La peur de mourir à l’accouchement, la peur de vivre une douleur insurmontable, la peur que le bébé subisse des traumatismes importants qui auront des répercussions graves sur le reste de sa vie, etc. sont des exemples souvent rapportés par ces femmes (couples).
La tocophobie secondaire
La tocophobie secondaire touche davantage les femmes qui ont déjà eu une expérience d’enfantement (multipare). Cette peur est le plus souvent directement liée à leur vécu antérieur plus traumatisant qu’attendu.
Des complications majeures lors de la grossesse ou de l’accouchement, un bébé qui a une anomalie quelconque, un bébé qui est mort‑né sont des exemples typiques des réactions de peur de ces femmes et de leur crainte de revivre pareille ressentis. C’est comme vivre un choc post‑traumatique.
Sans m’avancer sur des chiffres précis qui varient d’une étude à l’autre, il semble que ce type de tocophobie soit plus fréquent que la tocophobie primaire.
Les facteurs prédisposants à la tocophobie
En plus des facteurs physiques et sociaux déjà relatés comme l’abus sexuel, les accouchements traumatiques et compliqués ainsi que les histoires d’horreur rapportées, il y a aussi la personnalité d’une personne qui entre en jeu.
On sait que devenir parent est une source de stress important dans une vie. Imaginez si vous êtes déjà une femme qui a de la difficulté à gérer plusieurs stress à la fois au quotidien.
Les traits de personnalité entrent directement en ligne de compte quand on parle de prédispositions de certaines femmes à développer la tocophobie. Les femmes qui vivent déjà avec un trouble d’anxiété généralisé ou de dépression sont plus susceptibles d’être touchées par ce genre de réaction. La maternité potentielle vient ajouter à leur vulnérabilité, à leurs stress habituels.
Pour les personnalités ou les femmes qui doivent toujours être en plein contrôle, qui doivent agir en tout temps sur elles et leur environnement ou bien qui ont des comportements plus obsessionnels compulsifs, elles peuvent perdent plusieurs de leurs moyens en constatant que la grossesse et l’accouchement ne sont pas des expériences qu’on peut prévoir et calculer comme on voudrait. Elles ont tendance à redouter tous les inconvénients possibles entourant la naissance d’un enfant. Ce type de personne y pense sans le vouloir et anticipe le pire, tout en voyant les impacts possibles de façon démesurée sur leur personne comme : la prise de kilos, les vergetures, les douleurs impensables, les déchirures, l’affaiblissement du plancher pelvien, perdre le bébé, qu’elle-même meurt durant la naissance, etc.
Devant leur désir de devenir mère, elle devra apprendre à s’abandonner, à lâcher prise. Pour certaines, cela demandera beaucoup et souvent trop, mais d’autres réussiront grâce à un bon soutien et accompagnement.
Quels sont les signes de la tocophobie?
Quels sont les signes de la tocophobie? Lorsqu’une femme vit avec la tocophobie, on remarque plusieurs symptômes qui sont très similaires à des signes de crises d’anxiété et de panique. En voici quelques exemples :
- insomnie importante (pensées et rêves déplaisants)
- dépression prénatale
- humeur changeante (changement soudain possible)
- crampes abdominales
- ennuis digestifs (nausées, vomissements)
- tremblements
- étourdissements
- transpiration
- augmentation du rythme cardiaque (palpitations) et respiratoire
- angoisse, sensation d’oppression
- crise de larmes
- obsession pour la contraception
Quand la peur interfère avec les activités fonctionnelles.
Pour un homme qui vit avec son amoureuse aux prises avec un diagnostic de tocophobie, il est souvent difficile de comprendre l’intensité de ses réactions. Il n’est pas rare que l’entourage et même le conjoint soient désemparés devant la souffrance dont la manifestation semble démesurée et même parfois puérile.
Mieux comprendre la tocophobie permettra au conjoint puis aux familles et amis de pouvoir soutenir ces femmes qui vivent avec ce genre de peur.
Les conséquences possibles de la tocophobie
Vous savez que la tête va avec le reste du corps et malheureusement, si les deux ne sont pas alignés ensemble, cela peut avoir des répercussions sur le reste des événements.
Avant la grossesse :
Il y a des femmes qui ne réussiront pas à surpasser leur peur et à envisager une grossesse. Selon certaines statistiques rapportées, 13% de femmes qui n’ont jamais été enceintes rapportent une peur suffisante pour éviter une grossesse. Certaines iront jusqu’à la stérilisation de peur qu’une grossesse ne survienne malgré, tous leurs efforts pour l’éviter.
Plusieurs femmes pourront choisir une autre façon de devenir mère, soit par l’adoption ou en ayant recours à une mère porteuse par exemple pour réaliser leur désir profond d’avoir un enfant dans leur vie, sans avoir pour autant à le porter et à le mettre au monde.
Lors de l’annonce d’une grossesse :
On compte un nombre d’avortements plus élevé chez les femmes qui vivent avec une tocophobie après l’annonce d’une grossesse inopinée, inattendue, afin d’éviter à tout prix de vivre une grossesse ou encore plus l’accouchement.
D’autres choisiront d’aller de l’avant en continuant leur grossesse malgré le fait qu’elles ne pourront pas fuir les mois à venir et l’accouchement.
Avant même d’être en travail :
Il arrive que la femme qui éprouve des peurs difficiles à contrôler aura tendance à demander davantage à avoir une césarienne, même si sa situation ne s’y prête pas nécessairement afin d’avoir plus de contrôle sur la venue du bébé.
Durant le travail :
On remarque que le travail peut être plus long chez la femme qui a peur, qui anticipe la naissance et les inconvénients possibles. Elle peut avoir un blocage inconscient qui fait en sorte qu’elle soit plus tendue physiquement, qu’elle se retienne lors de la poussée et qu’elle agisse contre nature. Ce qui explique souvent la durée du travail et de l’accouchement augmentée. Conséquemment, il se peut que l’intervenant doive avoir recours à plus de techniques de soulagement et d’instrumentation pour la mise au monde, comme une ventouse ou les forceps par exemple.
Après la naissance :
Après l’accouchement, selon son vécu, la nouvelle mère peut encore ressentir des peurs qui s’intensifient parfois si son expérience d’accouchement a été plus traumatisante qu’attendue. La nouvelle mère est ainsi plus à risque de vivre une dépression postnatale, plus susceptible également d’avoir un frein vis‑à‑vis le processus d’attachement pour son bébé.
Si l’accouchement a été difficile, cela pourrait entraîner des réactions similaires à un choc, à un stress post-traumatique et la mère pourrait refuser de voir, de prendre son bébé ou d’en avoir soin.
Une mère qui n’est pas disponible émotionnellement et physiquement pour son bébé peut engendrer de graves conséquences chez ce dernier à moyen et long terme.
Si l’expérience s’est soldée par une histoire, somme toute, assez positive, la mère verra ses craintes s’atténuer au fil du temps mais restera toujours avec un fond de stress face à revivre ou pas une grossesse et un accouchement dans le futur. Ces peurs ne disparaissent pas!
Comment agir face à la peur de l’accouchement?
Avant la grossesse :
Lorsqu’une femme décide d’aller de l’avant pour concevoir un bébé, malgré sa grande peur de vivre une grossesse ou d’accoucher, il est impératif de débuter sa démarche en allant chercher une aide psychologique appropriée qui l’aidera à réduire l’angoisse, la panique à l’idée d’avoir un bébé. Une psychologue, une travailleuse sociale, une personne qui saura l’écouter et l’accompagner à travers les apprentissages personnels à faire à cet égard. Des thérapies de désensibilisation spécifiques, cognitivo- comportementales sont aussi possibles et aidantes dans cette problématique, des séances en thérapie d’hypnose peuvent aussi être enrichissantes.
Ensuite, afin d’amoindrir le plus possible l’impact de la peur d’accoucher sur la grossesse éventuelle, il est nécessaire que la femme soit entourée de beaucoup d’amour et de compréhension de son réseau d’aide naturel qui sera présent et apaisant pour elle à travers toutes les étapes du devenir mère en recevant écoute, réconfort et protection.
De plus, c’est une bonne idée de pratiquer des méthodes de relaxation avant même la grossesse comme la méditation, le massage, le yoga, les respirations profondes. Apprendre à relâcher sa musculature et mieux se connecter avec son être intérieur pour apaiser autant le physique que le psychologique.
Durant la grossesse :
Une femme qui éprouve des peurs incontrôlables face à la grossesse ou l’accouchement et qui se retrouve enceinte nécessite un suivi particulier. Si elle décide de poursuivre sa grossesse, il se peut que le médecin ou la sage‑femme responsable du suivi de santé demande d’être épaulé par une équipe multidisciplinaire qui saura mieux répondre aux différents besoins possibles d’une personne vivant avec la tocophobie.
Des cours prénataux peuvent certainement aider à démystifier le vrai du faux des informations entendues et aussi aider à rendre l’expérience plus concrète avec des données qui permettront aux femmes (aux couples) de prendre part, dans une certaine mesure, aux décisions à venir pour elles et le bébé. La connaissance donne du pouvoir, permet les échanges et la compréhension, mais un accouchement demeure toujours une boîte à surprise. On ne sait jamais comment le tout va se terminer avant que tout soit fait.
Un plan de naissance (souhaits de naissance) est aussi un truc pouvant être mis de l’avant pour sécuriser ces femmes. Leurs souhaits vis‑à‑vis l’événement de l’accouchement soient transmis au personnel qui sera sur place.
La présence d’une accompagnante à la naissance, rencontrée plusieurs fois durant la grossesse, pourrait être bénéfique pour la femme qui vit avec la tocophobie afin d’avoir à coup sûr un visage familier, une présence soutenue d’une femme connue à son chevet pour l’aider à se contenir et soutenir aussi son amoureux durant cette étape stressante.
Durant le travail et l’accouchement :
La femme qui vit avec le sentiment intense de peur d’accoucher devra être soutenue durant tout le travail et de plus près lors de l’accouchement. Une accompagnante? Une infirmière? Une sage‑femme? Un médecin?
Il faut que les personnes en place connaissent la situation et puissent adapter leurs interventions pour mieux répondre aux besoins d’être sécurisée, d’être rassurée de la femme elle‑même mais aussi de son conjoint qui peut aussi vivre des stress dans son rôle.
Après l’accouchement :
Considérant les risques potentiels à la période postnatale, il est essentiel qu’un suivi soit effectué par l’équipe de suivi de grossesse auprès de la nouvelle famille. Voir ensuite à intervenir ou à référer si le besoin s’en fait sentir.
La tocophobie est de plus en plus reconnue comme une problématique en santé et des ressources compétentes y attachent de plus en plus d’importance et se mobilisent pour en connaître encore plus et offrir des programmes d’aide spécifique à ces femmes qui vivent avec ce genre de peurs.
Vous êtes les seules à savoir comment vous vous sentez vis‑à‑vis la seule pensée de porter et de mettre au monde un enfant. Si cela vient chercher chez vous, un senti de stress important, il est peut‑être temps d’en parler à votre médecin ou autres professionnels de la santé pour obtenir l’aide et le soutien approprié. N’attendez pas que la grossesse survienne et que le stress soit à son apogée.
Marie Fortier
La spécialiste des bébés