Bonjour,
Je m’appelle Céline, j’ai 29 ans et je suis infirmière dans la ville de Sherbrooke depuis bientôt 7 ans. Début 2019, alors enceinte de notre premier bébé, nous apprenons qu’une tumeur progresse dans ma moelle épinière entre C1 et C5.
C’est certain que cette annonce arrive comme un coup de massue, nous qui attendions cette grossesse avec impatience. Malgré tout, dans ce mélange d’émotions et d’informations, c’est la plus belle des nouvelles qui a pris toute la place dans notre cœur à ce moment-là. De plus, je n’avais presque aucun symptôme et je me sentais bien, donc il était encore difficile de vraiment m’imaginer les enjeux auxquels nous allions faire face. Nous rencontrons rapidement l’équipe de grossesses à risque, la GARE, ainsi qu’un neurochirurgien. Nous sommes chanceux d’être tombés sur cette belle équipe qui nous prend en charge dans la globalité et cela nous a beaucoup aidés à traverser l’annonce de la maladie. Pour mon conjoint qui est sourd, une interprète était présente lors des rendez-vous de suivi afin de s’assurer qu’il ait la même information que moi, au même moment, et pour lui donner la chance de s’impliquer comme tout futur papa. Tout cela a créé une bulle de confiance, de respect où nous nous sentions supportés dans la poursuite de la grossesse.
Puis, doucement, un rendez-vous après l’autre, il a fallu composer avec les différents deuils de la maternité telle que je l’avais imaginée.
J’ai eu beaucoup de difficulté à me réjouir d’être enceinte, par peur qu’à tout moment, les choses dérapent et qu’il faille faire un choix déchirant. Je savais très bien que notre bébé ne survivrait pas à l’opération et les traitements dont j’avais besoin. Cela m’a amené à cacher ma grossesse le plus longtemps possible ou bien cacher totalement les épreuves qui venaient avec. J’ai demandé de ne pas avoir de « baby shower » et je me suis permise de magasiner et de rêver un peu plus seulement après avoir dépassé 24 semaines. Tout ce que je voulais, c’était de porter mon bébé le plus longtemps possible. C’est tellement regrettable que la maladie pousse à s’isoler socialement, alors que ce dont on a le plus besoin, c’est d’un réseau de soutien, d’autant plus lorsque l’on va devenir parent, un rôle qui à lui seul amène un gros lot d’angoisses et d’incertitudes.
Durant mon deuxième trimestre, des symptômes neurologiques et de la douleur apparaissent et progressent. Je tente de continuer à travailler comme si de rien n’était, le plus longtemps possible. Le travail fut une bulle d’oxygène où ma maladie était encore secrète et qu’aux yeux des gens, j’étais tout simplement enceinte, et ça me faisait du bien. Je n’ai cherché qu’à m’entourer le plus possible de positif pour diminuer le stress et détourner le plus possible mon attention des douleurs qui devenaient de plus en plus invalidantes. L’ajout d’une médication pour me soulager, mais aussi contrôler l’œdème de la tumeur qui comprimait de plus en plus la moelle était bien entendu compliqué. De nombreuses molécules sont contre-indiquées avec la grossesse et lorsque le temps fut venu pour moi de prendre des corticostéroïdes et un peu de morphine, j’ai eu beaucoup de difficulté à ne pas ressentir de culpabilité vis-à-vis de mon bébé. C’est à ce moment que l’équipe de grossesses à risque a eu un rôle majeur en pesant le pour et le contre, évaluant le bénéfice risque et en faisant toutes les recherches nécessaires.
Je concentre alors mes efforts sur le simple fait d’amener mon bébé au plus près du terme. Certaines journées sont plus difficiles que d’autres, en grosse partie à cause de cette douleur, mais je ne compte pas la laisser m’empêcher de créer de beaux souvenirs et je prépare son arrivée comme n’importe quelle future maman. Je tente le plus possible d’apporter un environnement serein à mon bébé et pour cela, lors des crises de douleurs, je m’allongeais pendant des heures, lui parlant sans cesse, lui expliquait la situation et ce qu’il allait probablement se passer, et tout cela entre deux berceuses. C’était une façon pour moi de rester concentrer sur l’essentiel, mais aussi de connecter avec mon bébé, faire équipe avec lui et l’inclure dans ce combat. Certes, être enceinte et composer avec un diagnostic de cancer n’est pas facile, mais cela donne une force incommensurable et une envie de se battre sans limites.
Si je devais citer un autre des plus gros deuils qui sont venus avec ce cancer, j’aborderais celui de l’accouchement. Ce fut un gros bout de devoir m’enlever cette image dans la tête et d’en reconstruire une nouvelle. J’avais l’impression que j’échouais déjà dans mon rôle de maman en sachant d’avance que je ne pourrais l’accueillir au monde comme je l’avais idéalisé. On se fait tellement de film de ce que doit être une maternité parfaite, notamment à cause de l’image véhiculée par les réseaux sociaux et qu’il peut être difficile de se défaire de cela. Ce qui m’a beaucoup aidé, c’est d’avoir su à l’avance que la césarienne serait la seule façon de mettre au monde mon fils. J’ai donc pu me préparer à l’avance et en parler à mon conjoint afin que nous restions en équipe à ce moment-là. Il avait toujours imaginé couper le cordon, donc nous avons pu en discuter d’avance avec l’équipe pour savoir si cela pouvait lui être offert.
Je n‘ai pas osé m’inscrire à des cours prénataux. Premièrement parce que nous étions déjà inondés de rendez-vous qui nous laissaient la tête pleine à chaque fois, mais surtout parce que je ne me sentais pas à l’aise de me retrouver face à toutes ces choses qui n’allaient de toute évidence pas s’appliquer à nous. Par chance, je me suis inscrite aux cours prénataux en ligne, ce qui m’a énormément rassurée. Je pouvais m’informer à mon rythme, quand je le voulais et seulement avec les contenus nécessaires.
Finalement le 30 juillet, après qu’en l’espace d’une fin de semaine, je perde la proprioception de ma main droite, je me rends à mon rendez-vous de suivi. L’équipe de grossesses à risque décide alors de procéder à la césarienne. Il est temps de comprendre que j’ai donné le maximum pour mon bébé, mais qu’il est temps de penser à moi si je veux être là pour lui ensuite. Accoucher me permettra ainsi de pouvoir recevoir de plus grosses doses de corticostéroïdes pour me protéger de l’œdème causé par la tumeur et me donner la chance de me faire opérer avec le moins de séquelles possible.
Le 2 août 2019, à 33 semaines, naît notre fils Paul, poussant un cri de combattant à la seconde où il a pris son premier souffle. À ce moment-là, rien de ce qu’on pouvait m’annoncer n’allait me faire douter ou abandonner. Puisqu’il était prématuré et qu’il devait aussi être sevré des corticostéroïdes que j’avais reçus durant ma grossesse, il fut transféré en néonatalogie. J’ai beau être infirmière, je n’étais pas prête à voir autant de matériel médical sur mon bébé. Mon conjoint a eu un peu de réserve au début, mais il a vite trouvé sa place et une façon de s’impliquer. L’équipe de la néonatologie était très rassurante et nous a aidé à nous sentir un peu comme chez nous. Les aller-retour commencent alors, j’y berce mon bébé autant que possible à travers les rendez-vous préopératoires. On me demande de préparer mon testament, de vérifier mes assurances-vie et mes directives anticipées. C’est probablement la chose qui m’a été le plus difficile de faire à cette étape. Cela ne faisait tellement pas de sens et c’est à ce moment que le choc fut plus difficile. Je ne voulais rien entendre de la maladie, je voulais être une nouvelle maman et rien d’autre.
Il a fallu faire le deuil de l’allaitement, puisque mon bébé n’était pas capable de prendre le sein à sa naissance. Je savais d’avance que je ne pourrais pas allaiter à cause de l’opération que j’allais subir ainsi que des traitements, mais l’équipe de néonatalogie a tout fait pour respecter mon désir et m’a offert le soutien dans les mises au sein même si mon garçon ne tétait pas. J’ai pu malgré tout tirer mon lait et je me suis donnée autant que possible. Ce fut une façon pour mon conjoint de s’impliquer puisqu’il veillait toujours à effectuer la stérilisation pour m’aider et m’encourageait énormément.
Les neurochirurgiens m’opèrent 19 jours plus tard dans le but de décomprimer la moelle épinière. Ils doutent de pouvoir retirer la lésion puisqu’elle est très infiltrée et qu’il est difficile de faire la différence avec le tissu sain, les dommages pouvant être irréversibles, voire mortels. Malgré tout, j’y vais avec une grande sérénité et en leur offrant ma confiance toute entière.
Bien sûr que le matin de mon départ, j’ai bercé mon bébé, sur mes deux jambes, en me demandant si c’était la dernière fois que j’en avais la chance. Mais je savais que c’était ma seule option pour vivre. J’ai eu raison d’y croire puisque je me suis réveillée, bougeant mes deux bras et mes deux jambes avec 90% de la tumeur RETIRÉE! Une première bataille de remportée de cette guerre contre un ennemi encore inconnu. On nous avait prédit un astrocytome anaplasique, mais malheureusement la bête a été plus féroce. Un glioblastome, une tumeur cérébrale de grade 4 logée dans ma moelle épinière.
Mon conjoint se retrouve à ce moment à la maison avec notre nouveau-né pendant que je suis hospitalisée. C’est là que le réseau de soutien prend tout son sens. Une véritable chaîne de solidarité s’est créée pour nous apporter du soutien, du réconfort ou parfois simplement une présence, de la part de la famille et de nos amis. Une vie entière ne suffirait pas pour les remercier d’avoir pris part à notre combat et nous avoir apporté autant de chaleur et de bienveillance. De plus, grâce à la prise en charge de la GARE, nous avons eu de l’aide d’une infirmière pivot du CLSC qui a coordonné des professionnels pour nous aider au retour à la maison. Une infirmière venait évaluer la croissance de Paul et s’assurer que mon conjoint ne rencontrait pas de difficulté. Lorsque j’étais hospitalisé, je pouvais avoir des visites de mon bébé afin de faire du peau à peau, que ce soit aux soins intensifs ou durant mon séjour à l’étage de chirurgie. C’était important pour mon moral et mon énergie de pouvoir avoir la présence de mon fils, sentir son odeur et sa chaleur.
Une auxiliaire de vie venait plusieurs fois par semaine pour nous offrir de l’aide avec le bébé. Celle-ci m’accompagnait avec mon fils à mes séances de radiothérapie et par la même occasion offrait du répit à mon conjoint. Cela me donnait beaucoup de courage de l’avoir à mes côtés et j’abordais les traitements avec beaucoup de légèreté. J’ai eu la chance aussi de rencontrer mon ergothérapeute ainsi que ma physiothérapeute pour me permettre de trouver des solutions dans le quotidien et mes tâches de maman avec mes nouveaux handicaps. Nous avons été mis en relation avec le centre de réadaptation Lucie Bruneau à Montréal qui s’occupe d’offrir de l’aide pour les parents atteints de handicap. J’ai donc eu du prêt de matériel adapté et des solutions pour pouvoir m’occuper de mon bébé le plus possible par moi-même.
Je ne peux pas aller le récupérer dans son lit et le consoler lorsqu’il pleure. Je n’arrive pas à l’habiller de tous ces beaux vêtements que j’avais pris soin de préparer en attendant sa naissance. Je ne peux lui donner son bain seule, ni l’emmener prendre une marche. Alors je me console en me disant que ce qui compte c’est ma présence tout simplement. Nous passons nos journées collés et à mesure qu’il grandit, je le regarde évoluer et jouer près de moi. Il est si serein et joyeux que je ne peux pas baisser les bras sur le plus beau cadeau que la vie m’ait fait. J’apprends à écrire de la main gauche, à tenir des ustensiles ou un verre, à nouer mes cheveux, faire mes lacets… Bref, toutes sortes de choses qui étaient si naturelles. Et je pense qu’à force de persévérance, d’encouragement de mes proches et aussi des professionnels qui travaillent avec moi, j’ai surpassé bien des attentes.
Le cancer ne s’arrête pas après les traitements, le corps et l’esprit restent marqués en permanence et il faut faire un autre deuil, celui de notre propre santé et de nos capacités physiques telles qu’on les connaissait. L’acceptation est un travail à long terme pour ma part. Il a été compliqué de reprendre un rythme après les traitements. On ne parle pas assez du vécu après les soins. Je m’étais isolée socialement inconsciemment et la réalité m’a vite rattrapée quand j’ai voulu reprendre un peu plus le contrôle de ma vie et de mon corps. C’était comme si pendant tout ce temps, j’avais regardé le monde tourner sans moi. Je me sentais comme une étrangère et énormément en décalage.
Aujourd’hui,18 mois se sont écoulés depuis le diagnostic et la bête est stable. J’apprends à dompter la douleur pour lui donner le moins de place possible au quotidien, qu’elle soit plus petite que mes ambitions, même si je sais qu’elle est permanente. J’ai retrouvé mon permis de conduire récemment, je suis en réintégration progressive au travail, mais avant tout et surtout, je m’occupe de mon fils autant que je le souhaite. Je sais que je ne peux pas rattraper les moments que j’aurais aimé vivre à sa naissance, mais je peux maintenant lui prendre la main et lui montrer le chemin.
Une année remplie de petits et de plus gros deuils. Certains ont laissé des cicatrices bien plus douloureuses que cette tumeur. Une année pour apprendre à accepter que beaucoup de choses ont changé et qu’il faudra s’y faire. Une année pour me faire comprendre que c’est correct d’en parler, parce qu’un combat n’est possible que lorsqu’il est connu. Ce combat m’a appris qu’accepter de l’aide, ce n’était pas pour autant être faible et aussi qu’il ne fallait pas avoir honte d’en parler puisque nous ne sommes malheureusement pas les seules à vivre cela.
Ce serait mentir de dire que je pense que la vie n’a plus rien à m’offrir. Je suis persuadée que je suis encore là pour une raison et je pense que j’ai encore des choses à partager, beaucoup d’amour à répandre et des rêves à réaliser. Il est impossible de savoir de quoi sera fait demain, ou bien dans 6 mois ou dans 5 ans, mais c’est le même lot pour tout le monde, alors pourquoi devrais-je me mettre des barrières? Je me disais souvent que cette tumeur n’avait pas choisi la bonne personne, mais finalement, maintenant mon combat, c’est que plus personne n’ait à subir l’épreuve d’un tel diagnostic, mais surtout envoyer un message à tous les parents qui vivent une situation similaire: n’ayez pas honte ou peur d’en parler, car vous n’êtes pas seuls.
Céline
Les opinions émises dans ce billet n’engagent que l’auteure.